Développer le goût de la lecture chez les jeunes 

Apprendre à lire demande beaucoup d’efforts, de pratique et une méthode adéquate d’enseignement. Mais devenir un lecteur, qui prend plaisir à lire, nécessite, non seulement de la pratique, mais aussi de bonnes attitudes parentales. Le rôle des parents pour construire les lecteurs passionnés de demain est, en effet, indispensable dans le monde actuel, comme nous allons le voir dans cet article.

Le constat : on lit de moins en moins chez les jeunes

Aujourd’hui, développer le goût de la lecture chez les jeunes, au point d’en faire un de leurs loisirs favoris, est loin d’être évident. Plusieurs études le montrent: le temps consacré à la lecture chez les jeunes comme chez les adultes baisse de plus en plus. En outre, le dernier rapport Pisa, publié en décembre 2016, montre que les performances en lecture des élèves francophones sont en-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE.

La faute aux écrans? 

Dès leur plus jeune âge, les enfants d’aujourd’hui grandissent entourés d’écrans qui capturent leur attention toujours plus efficacement. Le temps passé derrière un écran augmente continuellement (pour les grands comme pour les petits)  au détriment d’activités sportives, artistiques, de promenades ou de lecture…  

Quand on a un peu de temps devant soi, il est désormais plus naturel de sortir le Smartphone que de décider de prendre un livre.  Lire demande davantage d’effort à notre cerveau que regarder défiler ce que le fil d’actualité de FaceBook ou de YouTube nous propose ou de jouer afin de gagner des récompenses dans un jeu…Evidemment on peut lit aussi via son Smartphone, mais ça reste souvent une lecture plus superficielle au niveau de l’attention.

Le rôle de la dopamine

Quand bien même la plupart des contenus proposés par des algorithmes ne sont pas toujours passionnants, notre cerveau (et plus précisément, le circuit de la récompense) nous pousse à scroller sans fin, à la recherche de surprises, de nouveautés qui constituent des récompenses immédiates pour le cerveau. Ce circuit, lié à la dopamine, est en effet stimulé par tout ce qui est nouveau et potentiellement source de plaisir pour nous…

Il y aura toujours un moment où en surfant sur Internet, on tombera sur quelque chose d’amusant ou d’intéressant..  Notre cerveau a donc associé les smartphones, tablettes et consoles à des « distributeurs de récompenses immédiates » et une bonne dose de dopamine est sécrétée dès que l’on peut y accéder (et c’est généralement le cas 24h/24). C’est pour cela que l’on se retrouve souvent à surfer sur son Smartphone, sans un objectif bien précis, mais plutôt comme un pilote automatique, guidé par le « circuit de la récompense » qui est aussi celui à l’origine de nos addictions.

Mais comment, dans le contexte actuel, faire en sorte que les enfants prennent plaisir à lire et songent à se plonger dans un livre quand ils en ont l’occasion ?

Le rituel de l’histoire du soir dès le plus jeune âge

L’amour des livres se développe tôt. Si les premiers contacts avec la lecture et les livres se fait à l’école, lorsqu’il faut apprendre à lire, les livres risquent d’être associés à la scolarité et pas au plaisir.

Il est donc important de proposer des livres et de lire avec son enfant dès son plus jeune âge. Rien de tel pour cela que la lecture du soir.  Prendre le temps de partager un moment de lecture plein de tendresse avec son enfant, et ce dès ses premières années, est une façon d’associer durablement les livres (et la lecture) à des émotions positives. En outre, l’histoire du soir a le don de calmer les enfants, comme les parents. Une bonne dose d’ocytocine (l’hormone de l’attachement) et de dopamine avant de s’endormir rend vite les enfants accros à ces moments partagés, et c’est tant mieux. 

Si le coucher est associé à la lecture dès le plus jeune âge, il sera nettement plus évident pour un ado de prendre un livre pour trouver le sommeil, plutôt que de surfer sur son smartphone (ce qui est actuellement une mauvaise habitude prises par de nombreux ados que nous rencontrons en consultations). 

Image du film « Boyhood »

Un temps consacré à la lecture 

Si l’on veut que ses enfants passent davantage avec un livre en mains au lieu d’une tablette ou d’un joystick, il faut aussi montrer l’exemple et lire régulièrement (et pas  seulement derrière un écran). Pour les jeunes enfants, les parents sont le premier exemple à suivre. Si notre enfant nous voit régulièrement un livre en main et qu’il a, lui aussi, à portée de main, de chouettes livres, il y a de fortes chances qu’il en fasse de même. Laisser trainer des livres susceptibles de plaire à son enfant, bien en vue sur la table du salon et dans sa chambre… est un bon moyen d’attiser sa curiosité. Dès qu’il ne saura pas à quoi jouer ou qu’il s’ennuiera, il en piochera un et le lira… pour autant qu’il n’ait rien de plus stimulant comme alternative…

Il est aussi crucial de mette des limites de temps dans l’usage des distractions trop stimulantes, de les écarter pour éviter la tentation et de planifier du temps pour d’autres types d’activités (lecture, art, balades, sport…)

Le droit de choisir leurs lectures

Si votre enfant ne jure que par les BD Picsou, les mangas, les BD Game Over et refuse de s’attaquer aux livres que vous estimez de qualité (« A ton âge, je lisais Jules Verne ! »), peu importe ! Le principal est que l’habitude de prendre un livre pour le plaisir s’installe  : il consacre un moment de son temps à la lecture et y prend du plaisir. Si votre enfant est passionné par un sujet particulier (les Romains, les guerres, les chevaux, les dinosaures, le foot, Minecraft, la danse…), foncez chez votre libraire lui trouver des bouquins sur le sujet… Il y a aujourd’hui, des livres ou des BD sur tous les sujets possibles. 

 

 

Des bénéfices incontestables pour le développement du langage et des émotions

De nombreuses études ont montré que les enfants qui démarraient l’école primaire avec des connaissances liées à la « littéracie » (familiarité avec les lettres, familiarité avec les récits et avec le vocabulaire spécifique aux histoires, etc.) avaient nettement plus de facilités à apprendre à lire. Les enfants à qui on lit régulièrement des histoires ont également un vocabulaire bien plus développé que les enfants qui ne bénéficie pas d’accès aux livres.  La lecture de livres à son enfant est un des meilleurs moyens de développer son langage. 

Il en va de même pour les émotions. La plupart des livres d’enfants traitent des émotions et mettent des mots sur celles-ci. Au fil des lectures, l’enfant est familiarisé avec les émotions de base, comme la colère, la tristesse, la joie,…  il apprend à les reconnaître, les identifier, mettre un nom dessus. C’est une première étape cruciale dans le développement affectif de l’enfant. 

En conclusion, il n’y a que des bénéfices à lire avec son enfant dès son plus jeune âge. Tous les moments lecture permettront de tracer des chemins dans son cerveau, associant les livres à des sources de plaisir, de découvertes et de connaissances. Ce qui devrait faciliter l’envie de se plonger dans un livre par lui-même, plus tard.

« Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. »

Marcel Proust, Sur la lecture.

Apprendre à lire

La lecture est une des voies privilégiées pour développer ses compétences verbales et ses connaissances sur le monde et sur autrui. C’est aussi un facteur essentiel à la réussite scolaire. Toutefois, apprendre à lire et à écrire est un apprentissage complexe qui nécessite un enseignement explicite, beaucoup d’efforts et de pratique.

Cet article (dont une grosse partie est issue de ma thèse de doctorat) a pour but d’expliquer comment se passe l’apprentissage du langage écrit dans un système d’écriture alphabétique.

Les particularités de l’apprentissage de la lecture dans un système alphabétique

Le système alphabétique permet, à partir d’un ensemble fini de caractères simples et abstraits, les graphèmes (ch, s, a, gn, ou), de représenter les plus petites unités phonologiques distinctives d’une langue parlée : les phonèmes, des unités phonologiques correspondant à différentes réalisations sonores. Ce principe vaut pour les nombreux systèmes alphabétiques, comme les alphabets latins, cyrilliques ou arabes.

1ère étape : prendre conscience des phonèmes

Lire et écrire dans un système alphabétique nécessite d’abord de découvrir le principe selon lequel les graphèmes représentent des phonèmes, et inversement. Ce qui implique, pour l’apprenti lecteur, de prendre conscience des phonèmes, c’est-à-dire d’être capable de les analyser et de les manipuler mentalement. Cette étape est délicate car les enfants non-lecteurs (tout comme les adultes analphabètes) n’ont pas naturellement conscience des phonèmes. En revanche, ils peuvent avoir conscience des syllabes et des rimes qui composent les mots. Ainsi, la conscience des phonèmes, étape décisive pour apprendre à lire, ne se produit pas spontanément mais nécessite de démarrer l’apprentissage d’un code alphabétique.

Si on veut favoriser son émergence, on peut également la stimuler, dès l’école maternelle, avec d’autres compétences métaphonologiques (manipulation des rimes, des syllabes). Cette stimulation précoce aux phonèmes est même fortement souhaitable. En effet, plus les habiletés métaphonologiques d’un enfant sont développées, plus vite il apprendra à lire (e.g., Bowyer-Crane et al., 2008; Bus & van IJzendoorn, 1999; Sénéchal, Lefevre, Thomas, & Daley, 1998). Parmi ces habiletés métaphonologiques, ce sont celles liées spécifiquement aux phonèmes qui sont, sans surprise, les plus prédictives des habiletés futures en lecture (Melby-Lervåg, Lyster, & Hulme, 2012, pour une méta-analyse récente).

Concrètement, pour favoriser l’apprentissage de la lecture, parents comme enseignants peuvent réaliser avec les enfants pré-lecteurs des activités langagières mettant l’accent sur les phonèmes. Par exemple, un exercice consiste à énoncer à l’enfant des mots comme « chemise, chapeau, charrette » tout en accentuant le phonème initial et à leur demander ensuite ce que ces mots ont en commun (i.e., le phonème initial /∫/).Version 2

Bon à savoir: l’acquisition de la conscience phonémique ne semble pas dépendre de l’intelligence, car même des enfants présentant des déficits intellectuels très sévères peuvent la développer (e.g., Morais, Mousty, & Kolinsky, 1998). Par contre, les enfants présentant (ou risquant de présenter) une dyslexie développementale rencontrent généralement des difficultés persistantes dans la perception ou la manipulation des phonèmes, cela malgré un contexte d’apprentissage approprié et des capacités intellectuelles normales ou supérieures (e.g., Ramus, 2003; Swan & Goswami, 1997).

2ème étape: apprendre le code orthographique

La découverte du principe alphabétique va permettre à l’enfant de mettre en correspondance la forme orthographique (le graphème) et la forme phonologique (le phonème), nécessaire pour décoder les premiers mots. Cependant, il va également falloir que l’apprenti lecteur acquière des connaissances à propos de ces correspondances.

L’ensemble des correspondances graphèmes-phonèmes (pertinentes pour la lecture) et phonèmes-graphèmes (pertinentes pour l’écriture) d’une langue correspond à ce qu’on appelle le code orthographique. Alors que le principe alphabétique est universel, le code orthographique, lui, est spécifique à la langue.

Dans des langues au code orthographique dit transparent, comme l’italien, le finnois, l’espagnol ou l’allemand, les relations entre les formes phonologiques et les formes orthographiques sont généralement consistantes : à chaque graphème correspond un seul phonème et à chaque phonème correspond un seul graphème. Quelques mois peuvent donc suffire aux apprenti lecteurs de ces langues pour en apprendre les correspondances et les appliquer à quasiment n’importe quel mot à lire ou transcrire (e.g., Seymour, Aro, & Erskine, 2003). En revanche, dans des langues au code orthographique plus opaque, comme le français, le danois et surtout l’anglais, les correspondances sont plus souvent inconsistantes : un même graphème peut représenter différents phonèmes (e.g., le graphème « ch » dans les mots chorale et chat) et un même phonème peut être représenté par différents graphèmes selon les mots (e.g., le phonème /k/ dans les mots chorale, carte, stock, tank ou quille). Maîtriser la lecture et l’orthographe dans les langues au code orthographique opaque nécessite donc plus de temps et de pratique (Seymour et al., 2003).

L’apprenti lecteur va apprendre ces règles (et les exceptions) de manière explicite, à l’école, mais surtout de manière implicite, à travers ses pratiques de lecture. En effet, à mesure qu’il rencontre et décode de nouveaux mots, ses connaissances des régularités du système orthographique de sa langue se développent, conduisant à une lecture de plus en plus rapide et à une écriture de plus en plus orthographiquement correcte (e.g., Share, 1995, 1999, 2004). Ce processus d’auto-apprentissage, comme l’a dénommé David Share (1995), contribuerait au développement du lexique orthographique dès le tout début de l’apprentissage (Cunningham, Perry, Stanovich, & Share, 2002). Ainsi, plus le jeune lecteur va lire, plus ses compétences en lecture, en orthographe, en vocabulaire et en compréhension à la lecture vont donc s’améliorer. D’où l’importance d’aimer lire, à défaut d’aimer étudier !

Au niveau cognitif, l’apprentissage du code orthographique se traduit par le développement de connexions entre les représentations orthographiques, phonologiques et sémantiques des mots. Ces connexions se consolident au fil de la pratique pour aboutir à la reconnaissance rapide et directe des mots écrits (e.g., Ehri, 2005, 2014; Ehri & Wilce, 1979). Ainsi, chez le lecteur expert, la simple vision d’un mot écrit semble activer immédiatement sa signification et sa prononciation. L’automatisation du processus d’identification de mots est l’une des caractéristiques essentielles de la lecture experte. Mais avant d’en arriver là, l’apprenti lecteur va utiliser différentes stratégies pour identifier les mots écrits.

En conclusion, devenir un bon lecteur prend du temps et demande des efforts. Pour favoriser l’apprentissage de la lecture et que l’enfant ait l’envie d’apprendre, il est primordial de cultiver le goût de la lecture à la maison, en lisant des histoire à son enfant dès le plus jeune âge, en lisant soi-même, en mettant des livres à disposition de son enfant, en faisant des jeux de mots avec lui, en intégrant le week-end des moments lecture… Ne l’oublions pas, les habitudes des parents en matière de lecture (le fait qu’on lise beaucoup ou rarement à la maison par exemple) conditionnent en partie celles qu’adopteront les enfants.

Catherine Demoulin

  • Ma thèse de doctorat réalisée à l’ULB