Le Syndrome de l’imposteur

Céline (nom d’emprunt), 45 ans, cadre dans une multinationale, me consulte car elle a l’impression d’avoir des problèmes d’attention. Elle suspecte un TDAH car elle se sent aussi très agitée mentalement et hyperactive: elle n’arrive pas « à ne rien faire » ou à profiter d’un bon moment. Elle procrastine aussi parfois dans ses projets professionnels.

Lors du premier entretien, Céline explique qu’elle a beaucoup de mal à se concentrer à son travail, qu’elle ne sent pas efficace et qu’elle doit toujours vérifier son travail pour éviter les erreurs. Quand je lui demande si elle reçoit des remarques ou des évaluations négatives de la part de ses collègues ou de ses supérieurs, elle explique qu’ils ne remarquent rien et sont, au contraire, très satisfaits d’elle. Cela la met encore plus mal à l’aise et elle a l’impression qu’on surestime ses compétences ou se trompe sur son compte. Je remarque dans le discours de Céline beaucoup de craintes par rapport au fait de commettre une erreur dans ses tâches professionnelles ou d ‘échouer. Quand je lui demande si elle commet frequemment des erreurs d’innattention, Céline explique que c’est rare parce qu’elle est perfectionniste. Enfin, quand je lui demande comment elle se sent généralement après un succès et sur ce qu’elle se dit intérieurement, elle répond qu’elle est rarement satisfaite de son travail et qu’elle se dit souvent qu’elle aurait pu mieux faire. Dans sa vie privée, Céline n’a pas beaucoup de loisirs en dehors de sa famille et de son ménage. Elle n’arrive pas à se détendre. Quand elle procrastine une tâche importante, c’est pour faire des tâches professionnelles secondaires, mais jamais pour faire une activité plaisante. Céline explique qu’elle a eu des parents très exigeants. Il fallait ramener d’excellentes notes. Elle était dans une école également exigeante où les élèves étaient fréquemment comparés les uns aux autres selon leurs notes. Elle ressentait beaucoup de pression et de stress. Elle a réussi brillament à l’école et plus tard à l’université mais, selon elle, au prix de beaucoup d’efforts. Elle ne pense pas avoir des facilités sur le plan intellectuel car, d’après elle, si elle en avait, elle ne devrait pas faire autant d’efforts pour réussir. Elle pense aussi avoir eu beaucoup de chance dans la vie car elle vient d’un milieu socio-économique favorisé.

Comme je m’y attendais les quelques épreuves attentionnelles que j’ai fait passer à Céline sont très bien réussies. Malgré ses belles performances, Céline montrait cependant beaucoup d’anxiété et de doute lors de l’évaluation. Son histoire n’est pas non plus compatible avec un TDAH. Mais alors, qu’est-ce qui peut expliquer les difficultés d’attention de Céline?

D’une part, Céline manifeste beaucoup de préoccupations anxieuses, ce qui peut affecter ses capacités attentionnelles et sa mémoire de travail. En outre, elle est très souvent stressée et ne semble pas réussir à se détendre, ce qui peut conduire à un épuisement qui va aussi affecter ses ressources attentionnelles. D’autre part, son discours et son histoire démontrent un décalage très important entre la manière dont elle se perçoit (peu efficace, peu compétente) et la manière dont elle est perçue en réalité par son entourage (très organisée, efficace et intelligente), ce qui fait penser au syndrome de l’imposteur.

Le syndrome de l’imposteur (SI) tel que défini par Pauline Rose Clance, désigne un doute persistant quant à ses compétences et une peur irrationnelle d’être démasqué(e) comme un « fraudeur » malgré des succès objectifs. Les personnes qui en souffrent attribuent souvent leurs réussites à des facteurs externes (chance, circonstances, aide d’autrui) plutôt qu’à leurs compétences réelles. Clance a d’abord observé ce phénomène chez des femmes hautement performantes, mais des recherches ultérieures ont montré qu’il concerne aussi bien les hommes que les femmes et peut toucher divers domaines professionnels et académiques.

Les caractéristiques principales du SI selon Clance :

  • Sentiment de fraude malgré des preuves de réussite, impression de tromper les autres
  • Peur d’être exposé(e) comme incompétent(e)
  • Difficulté à intérioriser, accepter ses succès 
  • Attribution des réussites à la chance ou à l’aide extérieure.
  • Auto-exigence excessive, perfectionnisme
  • peur de l’échec et des erreurs

Selon une étude de Bravata et al. (2020), le syndrome de l’imposteur est significativement corrélé à des niveaux élevés d’anxiété. Il est notamment fortement associé à l’anxiété de performance et à l’anxiété généralisée. Les personnes concernées ressentent en effet une pression constante pour maintenir un niveau de réussite élevé par peur d’être « démasquées ». Cette peur peut engendrer :

  • Une rumination anxieuse : anticipation excessive de l’échec et scénarios catastrophes.
  • Un perfectionnisme rigide : procrastination ou surinvestissement pour éviter toute erreur.
  • Des symptômes physiques d’anxiété (palpitations, tensions musculaires, troubles du sommeil).

Lorsque le syndrome de l’imposteur est chronique, il peut évoluer vers une baisse de l’estime de soi, une dévalorisation excessive, un sentiment d’incompétence, épuisement émotionnel qui sont des facteurs de risque majeurs pour la dépression.

le syndrome de l’imposteur et le burnout sont aussi étroitement liés, car les mécanismes psychologiques du premier peuvent favoriser l’épuisement professionnel. Ainsi, un niveau d’auto-exigence excessive conduit à travailler plus que nécessaire pour « prouver sa valeur » ou fournir un travail « parfait ». De même, la difficulté à reconnaître ses réussites mène à un sentiment de ne jamais en faire assez.

Cet hyper-investissement n’est généralement pas compensé par des périodes de repos ou de détente car il y a généralement une sensation de culpabilité lors des pauses. Il n’est donc pas étonnant que les capacités attentionnelles en prennent un coup, elles qui ne sont pas illimitées. En outre, l’anxiété chronique conduit à un stress persistant délétère qui fait le lit du burnout.

Le surinvestissement alterne aussi avec des phases de procrastination : réaliser un travail « parfait » (idéal de la personne) demande énormément d’énergie, de travail et est particulièrement anxiogène. Comme la personne craint d’échouer ou d’être critiquée, elle évite de s’y mettre, se lance frénétiquement dans des tâches plus secondaires (trop stressée pour s’amuser). Quand elle finira par s’y mettre en dernière minute, elle pourra protéger son estime de soi fragile en se disant « Si j’échoue, c’est parce que je n’ai pas assez travaillé, pas parce que je suis incompétente. » Cette stratégie inconsciente de protection peut aussi constituer de l’auto-sabotage : la personne se met elle-même des bâtons dans les roues pour éviter de confronter une peur profonde : l’échec, le rejet, ou la confirmation qu’elle « n’est pas à la hauteur ». Parfois, ça passe et le travail en dernière minute est tout de même bien fait, mais parfois, il est abandonné (« Je préfère ne pas essayer plutôt que de faire quelque chose de moyen. »).

Céline a été rassurée sur ses capacités attentionnelles, mais il lui a donc été vivement conseillé de réaliser un suivi thérapeutique impliquant notamment :

  • Une restructuration cognitive : identifier et déconstruire les pensées automatiques négatives (pensées/croyances dysfonctionnelles), apprendre à attribuer ses succès à ses propres mérites quand c’est justifié, etc.
  • Un travail sur le discours intérieur et l’auto-compassion : accepter ses réussites sans les minimiser, apprendre à se parler de manière encourageante et constructive, etc.
  • L’apprentissage de techniques de gestion du stress : méditation, respiration, TCC, activité physique etc.
  • La psychoéducation sur le phénomène pour prendre du recul (lecture d’ouvrages ou écoute de podcasts sur ce thème)
  • L’apprentissage de stratégies et conseils neuropsychologiques pour mieux comprendre et prendre soin de ses ressources cognitives et émotionnelles.

Sans cela, elle risque effectivement de s’épuiser et de voir un jour ses capacités cognitives réellement affaiblies. En effet, le stress chronique à long terme est délétère pour les capacités cognitives comme la mémoire et l’attention. Le stress prolongé entraîne une libération excessive de cortisol, qui peut littéralement rétrécir l’hippocampe, une structure clé pour la mémoire. Il perturbe aussi les processus de régulation du cortex préfrontal, essentiel pour l’attention soutenue, le contrôle des impulsions et la flexibilité cognitive. Après un burnout, il arrive aussi que l’amygdale, centre de la peur et des émotions, devienne hyperactive, entraînant un état de vigilance permanent. Ce qui peut expliquer pourquoi beaucoup de patients post-burnout se décrivent ainsi souvent comme beaucoup plus sensibles et émotionnels qu’avant.

Catherine Demoulin

Pour aller plus loin:

Le syndrome de l’imposteur : les clés pour changer d’état d’esprit ! De Kevin Chassangre

Traiter la dépréciation de soi : le syndrome de l’imposteur. De Kevin Chassangre

Le haut potentiel d’un point de vue scientifique

Le « HP » est à la mode. Beaucoup d’informations, parfois non fondées, circulent dans les média. Mais qu’en disent les données issues des recherches scientifiques ?

Qu’est-ce que le haut potentiel intellectuel ?

Sur base des recherches actuelles, on peut dire qu’une personne à haut potentiel intellectuel (HP) se caractérise par des aptitudes très élevées (c’est-à-dire qui se distinguent significativement de la norme) dans un ou plusieurs domaine(s) intellectuel(s).

Concrètement, quand le contexte est favorable, le haut potentiel intellectuel s’observe par une rapidité et une facilité d’apprentissage dans les domaines concernés. Autrement dit, les personnes avec HP apprennent plus rapidement et plus aisément que la plupart de leurs pairs, dans leur(s) domaine(s) de prédilection. Elles mettent aussi plus facilement en lien les nouveaux acquis avec leurs connaissances antérieures. En outre, avoir de très bonnes ressources intellectuelles permet généralement de trouver des solutions efficaces à différents problèmes, plus facilement.

Cependant, des facteurs (environnementaux, psychologiques, neurologiques…) peuvent parfois influencer négativement l’actualisation des aptitudes intellectuelles et les hautes capacités ne sont alors pas développées ou exploitées (Brasseur & Cuche, 2017). 

Mais comment identifie-t-on objectivement un haut potentiel intellectuel ?

L’évaluation des capacités intellectuelles

L’intelligence est un concept extrêmement complexe qui n’est certainement pas unidimentionnel. Elle est donc difficilement mesurable. Les tests psychométriques ne mesurent pas avec précision l’intelligence, mais, bien utilisés par un psychologue compétent, ils apportent des informations précieuses sur le fonctionnement cognitif d’une personne à un moment donné, dans certains domaines cognitifs et pour certains types de contenus. Ces informations quantitatives s’ajoutent à celles, plus qualitatives,  récoltées lors de l’ entretien clinique et suite aux observations durant l’évaluation.

Le but d’un bilan intellectuel ne devrait certainement pas être d’étiqueter une personne avec un score de QI mais bien d’avoir un aperçu objectif de ses forces et faiblesses dans certains domaines.

Les échelles d’intelligence de Wechsler (actuellement, WISC-V pour les enfants, WAIS-IV pour les adultes) sont les tests les plus utilisés pour estimer le fonctionnement intellectuel. Concrètement, elles sont composées de plusieurs épreuves évaluant spécifiquement différents domaines.

Ainsi, dans la WISC-V, les cinq domaines sont : la compréhension verbale, le raisonnement non-verbal, le traitement visuo-spatial, la vitesse de traitement et la mémoire de travail.

Dans ce type de tests, les performances d’une personne sont comparées à celles d’un large groupe de personnes du même âge. Plus précisément, pour chaque subtest, la note brute obtenue est ramenée à une note standard (NS), ce qui permet une lecture des performances de la personne au regard d’une distribution normale centrée réduite (courbe de Gauss). Ce procédé rend les notes comparables entre elles, du point de vue de leur distance avec la moyenne obtenue par la population de référence.

Pour chaque épreuvre, la moyenne des NS est de 10 et l’écart type de 3 points. Autrement dit, si on obtient une note de 10 à un subtest, par exemple, c’est considéré comme tout à fait dans la norme (la majorité des personnes de notre âge obtiennent un NS similaire).

Ensuite, pour chaque domaine, une note composite appelée « Indice » est calculée (dans le WISC-V, il y a donc 5 Indices pour chacun des 5 domaines). Ces Indices permettent de situer les performances de la personne par rapport à une moyenne de 100 dans un domaine particulier. Une note de 100 représente la performance moyenne des personnes de l’échantillon et l’écart-type est de 15. Environ 50 % des personnes de la population d’échantillonnage ont une note composite se situant entre 90 et 110 et environ 68%, une note composite entre 85 et 115.

Si les Indices de la personne testée s’avèrent relativement homogènes (càd s’ils ne diffèrent pas significativement les uns des autres d’un point de vue statistique), le QI peut être considéré comme une estimation valide de l’aptitude intellectuelle globale au moment de l’évaluation. Par contre, s’il y a de grandes différences entre des Indices,  le profil est alors dit hétérogène. Le QI n’a pas alors pas beaucoup de pertinence car il ne constitue pas une bonne synthèse du profil et il vaut mieux se concentrer sur chaque Indice.

Quand parler de Haut potentiel ?

Pour parler d’un profil général HP, on s’accorde généralement pour dire que le QI doit s’écarter significativement de la norme (à plus de 2 écart-types). Le seuil de 130 est donc généralement celui à partir duquel on parle de haut potentiel (il correspond à environ 2,2 % de personnes), mais le seuil de 125 est parfois choisi.

Cependant, il faut toujours avoir en tête que ces seuils restent arbitraires et que l’intelligence est une variable continue (non catégorielle). De plus, toute mesure comporte un risque d’erreur. Pour toutes ces raisons, il est judicieux de tenir compte de l’intervalle de confiance (dans lequel le score réel a 95% de chance de se trouver) et bien sûr, des facteurs qui ont pu influencer les performances.

Ainsi, une personne peut sous-performer aux tests pour diverses raisons: stress, manque de motivation, environnement défavorisé, fatigue, lenteur, dépression, trouble de l’attention, du langage ou des fonctions visuo-spatiales ou encore du fait qu’elle n’a pas été testée dans sa langue maternelle. Autant de facteurs qui peuvent entraver les capacités réelles. Une personne peut aussi sur-performer si elle a déjà passé les mêmes épreuves recemment ou si elle s’y est entraînée. Enfin, il peut aussi avoir une légère variabilité selon le psychologue qui fait passer le bilan.

Etant donné que divers facteurs peuvent donc entâcher les scores, les résultats quantitatifs d’un bilan intellectuel doivent toujours être accompagnés des observations, analyses et commentaires d’un psychologue (évaluation qualitative). 

Haut potentiel ou zone(s) de haute potentialité ?

Mais quid d’un profil intellectuel hétérogène ? Comment qualifier le profil d’une personne qui a réalisé des performances exceptionnelles dans un domaine particulier alors que ses performances dans les autres domaines sont moyennes et que le QI est en-dessous du seuil du HP ?

Il est en fait assez fréquent de rencontrer des profils hétérogènes dans le HP. Comme souligné plus haut, quand les différences entres certains indices sont statistiquement significatives, le QI a peu de sens et il est beaucoup plus intéressant de considérer chacun des indices.

Brasseur, Cuche et Goldschmidt (2007) ont proposé, dans ces cas, de parler de zone ou sphère de haute potentialité.

Ainsi, voyons le cas d’un enfant au profil intellectuel très hétérogène :

Arthur, 8 ans

Voici ses résultats obtenus avec le WISC-IV (entre parenthèses, figure l’intervalle de confiance):

  • Indice de compréhension verbale = 132 (120-137)
  • Indice de raisonnement perceptif = 133 (119-137)
  • Indice de mémoire de travail = 103 (94-112)
  • Indice de vitesse de traitement = 86 (78-98)
  • QI total = 122 (114-127)

Si on conclut qu’Arthur « n’a pas de haut potentiel » (parce que son QI est de 122), on occulte complètement ses aptitudes très élevées dans les domaines verbal et non-verbal. Mais si on conclut simplement qu’ « Arthur est haut potentiel », cela occulte ses capacités moyennes en mémoire de travail et en vitesse de traitement.

Selon la psychologue Isabelle Goldschmidt, il est dans ce cas intéressant de parler de:

  • Zones de haute potentialité dans le domaine verbal et en raisonnement perceptif;
  • Faiblesses relatives en mémoire de travail et en vitesse de traitement. Faiblesses relatives dans le sens où ses capacités restent dans la norme (et donc ne sont pas déficitaires per se) mais sont beaucoup plus faibles par rapport à ses autres capacités, et donc peuvent consitituer une faiblesse dans son profil.

Ce cas n’a rien d’exceptionnel. Il est même très fréquent dans les profils à HP que la  vitesse de traitement soit plus faible que les autres indices (pour en savoir plus sur les raisons qui peuvent expliquer cela, voir l’article récent de Labouret et Grégoire, 2018). On peut aussi avoir un profil où le domaine de raisonnement verbal est extrêmement élevé alors que le raisonnement non verbal est dans la norme (ou inversement).

Des faiblesses en mémoire de travail et/ou vitesse de traitement peuvent aussi être dues à des difficultés d’attention et/ou des fonctions exécutives (qu’il faudra alors investiguer).

Un décalage important entre différents domaines intellectuels entraîne des facilités dans les cours impliquant le domaine de prédilection et davantage d’efforts à fournir dans les domaines où les aptitudes sont dans la moyenne. Chez certaines personnes, cette sensation de décalage peut être déstabilisante. Elles peuvent se sentir « nulles » dans le domaine où elles sont moins douées, éviter de s’y investir et/ou développer des fausses croyances sur leurs capacités intellectuelles générales.

Quid des autres types d’intelligences ?

Il est clair que les échelles d’intelligence validées et utilisées dans la pratique (WISC et WAIS) ne ciblent que certains domaines intellectuels. En l’occurrence, ceux qui sont fortement impliqués à l’école: l’intelligence logico-mathématique, visuo-spatiale et  linguistique. La mémoire de travail est aussi évaluée parce que cette capacité cognitive est fortement impliquée, notamment, dans le raisonnement (pour aller plus loin, voir ici).

Or, de toute évidence, il existe des personnes qui démontrent des aptitudes exceptionnelles dans d’autres domaines, comme la musique, la mécanique, le sport ou encore les relations interpersonnelles. Ce qui laisse penser qu’il existerait d’autres formes d’intelligences que celles classiquement testées.

Howard Gardner a beaucoup écrit à ce sujet (cfr. les intelligences multiples de Gardner) et a proposé des questionnaires supposés évaluer différents types d’ « intelligences » via des questions sur les compétences et les goûts d’une personne dans différents domaines. Cependant, ces questionnaires ne sont pas validés scientifiquement et restent très subjectifs (pour une critique intéressante, voir Larivé et Sénéchal, 2012). Ils peuvent être intéressants pour réfléchir à ses talents, à ses compétences, ou pour renforcer l’estime de soi d’un enfant mais ils ne sont en rien comparables aux échelles de Wechsler.

Y a-t-il des caractéristiques spécifiques au haut potentiel ?

On entend souvent dire que le HP se caractérise par une hypersensibilité, une façon de  penser qui serait qualitativement distincte de celle des non-HP, de l’anxiété, un perfectionnisme, etc.

Cependant, contrairement à ce qu’on peut lire sur de nombreux sites grand public, les recherches n’ont pas mis en évidence de manière catégorique des caractéristiques spécifiques au haut potentiel, hormis bien sûr… les hautes capacités intellectuelles (Brasseur et Cuche, 2017).

Il existe bien des caractéristiques positivement corrélées au QI, comme l’ouverture d’esprit (qui se marque par une grande curiosité intellectuelle, une flexibilité d’esprit, une ouverture aux idées nouvelles, une tolérance à la diversité…) et la créativité , mais en aucun cas, ces traits, à eux seuls, ne permettent de détecter le potentiel intellectuel. Ces qualités sont (heureusement) présentes chez bon nombre de personnes ayant des capacités moins exceptionnelles (pour plus d’infos basées sur la recherche, voir l’excellent ouvrage de Nicolas Gauvrit ici).

Certains professionnels affirment aussi sur base de leur expérience clinique que le HP se caractérise par des caractéristiques comme l’ hypersensibilité, sentiment d’injustice exacerbé, anxiété, perfectionnisme, humour décalé… parce qu’ils sont confrontés à beaucoup de patients présentant ces caractéristiques. Cela ne signifie pas pour autant que toutes les personnes avec un HP présentent ces caractéritiques ! Si on se penche sur les recherches qui ont porté sur de grands groupes d’enfants (recrutés aléatoirement dans des écoles et pas dans des cabinets psy ou des associations de HP), il n’y a, à ce jour, pas de preuves scientifiques démontrant que le HP s’accompagne plus fréquemment de ces caractéristiques. Sur le plan clinique, toutes ces caractéristiques sont évidemment importantes à prendre en compte pour mieux comprendre la personne, mais elles ne peuvent en aucun cas être considérées comme des critères pour qualifier une personne de « HP », comme on peut le lire parfois. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’un enfant est malin, hypersensible, sensible à la justice, perfectionniste, mal adapté à l’école etc. qu’il est HP.

Dans le pire des cas, l’étiquette HP est posée sur un enfant sur la base unique de critères qualitatifs, sans identification sérieuse et parfois au détriment de l’identification d’autres troubles (anxiété,  TDAH, dyspraxie…) et l’enfant ne reçoit pas le soutien adapté. C’est malheureusement ce qui est pratiqué par certaines personnes (voir un exemple frappant dans le reportage, vers la onzième minute, de la RTBF ici).

Par ailleurs, même si on ne prend que les critères intellectuels, on ne peut pas dire qu’il existe un « fonctionnement HP » type (ex: raisonnement global plutôt que séquentiel etc.). En effet, il peut y avoir de multiples profils intellectuels. Affirmer que les « HP » sont comme ci ou comme cela, n’a aucun sens puisqu’il ne s’agit pas d’une maladie ou d’un trouble du développement comme l’autisme, par exemple.

Source de difficultés?

Il existe actuellement une tendance à pathologiser le HP dans les médias, les livres grand public ou même dans les écoles. Or, les recherches scientifiques bien conçues ne mettent pas en évidence davantage de troubles (comme l’anxiété ou la dépression) chez les personnes avec HP (voir Gauvrit, 2017).

Comme souligné plus haut, c’est le contexte dans lequel s’inscrivent les hautes capacités intellectuelles qu’il est essentiel de prendre en compte pour comprendre les difficultés d’une personne. De manière générale, le bien-être d’une personne dépend fortement de l’environnement dans lequel elle évolue, des opportunités qu’elle a de se réaliser et de ses autres caractéristiques personnelles (ex: habiletés sociales, gestion des émotions, personnalité, capacités attentionnelles, motivation, persévérence…). Quand une personne vit des difficultés, les causes peuvent être en lien avec ses hautes capacités intellectuelles… mais pas forcément.

Parfois des capacités qui s’écartent fortement de la norme peuvent parfois  à des difficultés d’adaptation scolaire ou professionnelle. Ainsi, un enfant extrêmement doué dans un ou plusieurs domaines scolaires peut s’ennuyer en classe et perdre sa motivation s’il ne reçoit pas de défis intellectuels adaptés à ses aptitudes. A l’adolescence, certains, malgré leurs grandes facilités pour apprendre, se retrouvent en échec. Une des raisons peut être liée au fait que ces jeunes ont appris sans jamais devoir travailler (notamment à l’école primaire) et n’ont donc pas encore développé de stratégies particulières pour apprendre. Ils peuvent aussi avoir intégré la fausse croyance selon laquelle on peut réussir sans travailler quand on est intelligent. Or, de façon intéressante, des études ont montré que les jeunes à haut potentiel qui ont cette croyance ont tendance à être plus souvent en échec (voir Brasseur & Cuche, 2017). En effet, à partir d’un certain stade de la scolarité, l’intelligence seule ne suffit pas pour réussir. Il faut aussi avoir développé d’autres compétences comme la persévérance, l’autocontrôle, la planification, l’organisation, la gestion des émotions et de la motivation…

Pour conclure, rappelons encore une fois que tous ces exemples de difficultés ne sont pas spécifiques aux personnes à haut potentiel et peuvent se rencontrer chez bon nombre de jeunes. Rappelons également que le HP n’a rien d’une pathologie et que de nombreuses personnes ayant manifestement de hautes capacités intellectuelles se portent bien. En cas de difficultés, il est essentiel d’investiguer les autres causes possibles des difficultés et de prendre en compte toute la singularité de la personne.

Catherine Demoulin

Pour aller plus loin :